Ce que disent les silences de Laure Manel, c’est une grande bouffée d’air frais qui balaie les secrets de famille pour permettre à une jeune femme de renaître. Magnifique !
Adèle, la trentaine, a grandi loin d’Ouessant. À la mort de son père à qui elle ne parlait plus, elle doit vider le logement de ce dernier… Évidemment, elle tombe sur des choses auxquelles elle ne s’attendait pas. Au fil des ans, elle s’était modelée une certaine image de son père. Ces deux-là n’ont pas su s’aimer ou en tout cas se le montrer à la disparition d’une épouse pour l’un et d’une maman pour l’autre. Lui s’est replié sur son chagrin et a délaissé sa petite fille.
Ce que disent les silences : une balade à Ouessant
Avec Ce que disent les silences, Laure Manel nous emmène sur l’île d’Ouessant, un coin de Bretagne cher à son coeur. Elle partage aussi au travers du personnage de Philippe sa passion de la photo. Et concrètement, j’ai trouvé que son roman est très imagé. J’avais des photos d’Ouessant devant mes yeux, sans y être jamais allée. J’ai envie de dire qu’à l’instar de Lorraine Fouchet et Sophie Tal Men qui nous font aimer Groix, Laure Manel donne envie, elle aussi, de découvrir Ouessant. Elle nous la décrit fouettée par les vents, lumineuse, tempétueuse, à l’image de l’océan qui bat ses côtes.
Ouessant constitue à elle seule un personnage dans Ce que disent les silences et ça m’a beaucoup plu. L’auteure retranscrit aussi très bien les mentalités sur une petite île qu’on veut préserver et la protection que les habitants de ce caillou breton ont érigée contre ceux qui ne sont pas d’ici… ou qui en sont partis depuis longtemps.
Savoir d’où l’on vient pour mieux se construire
Mais revenons à Adèle, orpheline de mère, elle n’a désormais plus son père. Même si elle était fâchée avec lui, elle prend conscience que plus personne, a priori, ne pourra lui permettre de connaître son histoire et lui raconter celle que fut sa mère. Alors elle part en quête de ses racines. Direction l’île d’Ouessant sur laquelle elle s’était jurée de ne jamais revenir. Sans qu’elle identifie vraiment les raisons mais probablement pour se protéger elle aussi, Adèle a jusqu’à présent rejeté Ouessant. Elle y est née, y a passé sa petite enfance. Puis son père l’a emmenée sur le continent pour ne plus jamais revenir là où elle a grandi. Adèle a soif d’en savoir davantage sur son histoire familiale, elle qui a été élevée par une tante paternelle. De sa famille maternelle, elle ne sait rien ou si peu, tant son père a bâti le silence comme une forteresse autour de ce passé breton.
De retour sur l’île, elle est pressée mais va devoir apprendre la patience et apprivoiser les uns et les autres. Il lui faudra gagner leur confiance pour parvenir à ses fins. Peut-être…
Prendre le temps pour que les silences se taisent enfin
Laure Manel construit une galerie de personnages attachants, comme à chacun de ses romans. Marie, la grand-mère d’Adèle. Une femme blessée qui règne en maîtresse du silence sur les uns et les autres dans l’île. Jean, le grand-père, un homme tendre, ancien gardien de phare. Laure Manel nous en apprend un rayon sur ce métier d’autrefois et c’est passionnant. On sent qu’elle a aimé se documenter et c’est plaisant à lire. Le mystère, et quelque part la magie des phares, nous emporte autant que l’océan qui fouette les côtes d’Ouessant.
Olivier, l’ancien ami d’enfance qu’elle retrouve. Infirmier libéral, il connaît tout le monde et respecte chacune et chacun. Olivier va apprendre à Adèle la patience et l’aider Adèle. Il est en quelque sorte son émissaire, celui qui permet à Adèle d’être acceptée sur l’île. Une amitié précieuse.
Philippe, le passionné d’ornithologie, également photographe. Magnétique, distant…
Vous vous doutez bien qu’il faut quand même une dose de romance dans cette histoire. Mais pour lequel le coeur d’Adèle pourrait-il battre ? Elle qui repousse les hommes et les fuit dès que la relation prend un tournant trop sérieux. Aurait-elle peur de l’engagement ?
Eh bien sur le poids des secrets pèse sur son histoire. Qui était Nolwenn, la mère d’Adèle ? Une jeune femme qui semblait passionnée, une maman aimante et qui meurt du jour au lendemain. Comment est-elle morte ? Pourquoi ? Qui était-elle vraiment ? Interdiction formelle de prononcer son prénom sur l’île. Marie a tranché. Là où l’amour blesse, le silence s’impose…
Des secrets de famille pour masquer la souffrance
Oui mais voilà à trop vouloir cacher les histoires de famille, une jeune femme, Adèle, s’est coupée de ses liens maternels et de tous ceux qui faisaient partie de cette branche-là dans ses origines. Adèle sent bien que pour continuer à avancer et se construire, pour être solidement ancrée dans la vie, elle doit savoir d’où elle vient, même si ça fait mal. Elle doit savoir pour mieux construire son avenir de femme.
Le corps trahit le mal-être. Photographe, elle se protège comme elle peut dans ses relations aux autres. Alors, oui elle a son petit cercle d’amis à paris, là où elle a construit sa vie. Mais sentimentalement, elle est seule, ne s’attache pas.
Et puis le bonheur…
Sur Ouessant qu’elle a redoutée et repoussée tant bien que mal, elle découvre une autre vie, d’autres personnes. Elle dompte son impatience et finalement s’attache à l’île et aux habitants. Revenir devient un besoin viscéral. Et puis surtout, elle a compris que pour remonter le fil de l’histoire maternelle, il lui faut apprivoiser Marie, renouer avec elle lentement. Là peut-être les silences s’effaceront. La confiance doit s’installer et peut-être la parole se libérera. Peu à peu, en effet Adèle découvre des bribes de son passé et de celle qu’était sa mère. Et elle va tirer le fil d’une histoire loin d’être banale.
Comme toujours, Laure Manel tisse le portrait d’une femme douce mais déterminée. J’ai tout aimé : les paysages, Ouessant, Marie, Jean, Olivier, Philippe… Même, et surtout, les plus rugueux cachent finalement un grand coeur ! J’ai adoré ce roman car Laure Manel nous raconte aussi la passion, les interdits, l’amour. Et une autre époque aussi.
4e de couverture Ce que disent les silences
Toutes les familles ont leurs secrets… Certaines plus que d’autres.
« Le ciel était étrange. Entre la nuit et le jour. Et le balayage des faisceaux du Créac’h, là-bas. La valse lumineuse qui rythme les heures nocturnes d’Ouessant. « On n’en a pas fini, toi et moi’, lança-t-elle au phare. »
À la mort de son père, Adèle découvre chez lui des lettres, dont l’une lui révèle l’existence d’un secret autour de la mort de sa mère, alors qu’elle n’avait que quatre ans.
Mue par un irrépressible besoin de découvrir la vérité, Adèle quitte Paris pour se rendre là où se trouve certainement la réponse, l’île sur laquelle elle est née, qu’elle a quittée enfant et où elle ne devait jamais revenir : Ouessant.
D’entrevues en rencontres, Adèle va découvrir autant cette île sauvage que son histoire, l’histoire de sa famille… et se rendre compte qu’un secret peut en cacher un autre.
La fiche du roman
- 30 mars 2023
- Éditions Michel Lafon
- 140 x 200 mm
- 384 pages