Frères d’Alexandre Jardin : un livre fort et percutant. L’amour déclaré de manière posthume d’un frère à son aîné, décédé le 11 octobre 1993.
Alexandre Jardin… cet auteur que j’ai tant lu durant ma jeunesse et dont j’ai tant aimé le verbe et le style. J’ai eu l’immense chance de pouvoir discuter avec lui, lors de la présentation de la rentrée littéraire chez Albin Michel début juin. Un moment de pur bonheur pour moi qui l’admire depuis tant d’années. J’avoue que je ne l’avais pas lu depuis longtemps. Mais quelle immense joie de retrouver sa plume si caractéristique. Des envolées de mots qui jaillissent sur le papier avec autant d’enthousiasme et probablement de difficultés qu’il aura eu à écrire ce court texte.
Mon coeur a palpité à la lecture de ce roman au verbe haut, aux phrases qui claquent. Ça virevolte et ça vous emporte tout simplement !
Frères : entre amour et haine
J’ai donc tout aimé dans ce livre. Le rythme, l’écriture surtout ! Et les émotions que l’auteur révèle au fil des pages. On sent bien qu’il a aimé Emmanuel à la folie, en l’admirant mais aussi en redoutant ses excès. Car ce fut la vie d’Emmanuel, de grands hauts et de grands bas. Une vie en dents de scie qui aura fini par l’épuiser et le conduire au geste irrémédiable. En filigrane, Alexandre Jardin s’intéresse à la manière dont cet homme s’est construit sur des fondations mouvantes qui pouvaient laisser augurer d’un avenir incertain. Comment se construire durablement quand on n’a pas été vraiment aimé et encouragé par sa mère, quand son père a virevolté tout ce qu’il pouvait avant de s’éteindre précocement ? Un pitre fragile ne vit pas de la même manière ses failles et il les vit probablement de façon beaucoup plus intense, atteignant sa santé mentale de façon incontournable.
Des sentiments ambivalents
Alexandre Jardin décrit fort bien l’ambivalence des sentiments qui l’ont animé au cours de leur vie commune. Il l’a aimé immensément mais aussi mis à distance parfois, probablement pour se protéger. Emmanuel était visiblement un être flamboyant mais qui brûlait la vie par les deux bouts, sans tenir compte des conséquences pour lui et encore moins pour les autres. Il vivait à 200 km/h, toujours intensément. Sinon la vie aurait été probablement trop fade pour cet être se nourrissant tantôt de lumière tantôt d’une grande ombre.
Une vie brûlée qui s’est achevée par un suicide dans un lieu, ô combien symbolique de ses souffrances. Un être finalement mal-aimé qui ne devait pas s’aimer beaucoup non plus, indécis en amour comme professionnellement. Il aura eu du mal à trouver sa place parmi les siens et dans la société plus simplement. Ses éclats ont ébloui autant qu’inquiété son frère cadet, Alexandre qui sentait bien qu’un truc clochait… Mais à l’époque on ne mettait pas les mots facilement sur ce mal qui a dû ronger Emmanuel.
Frères, c’est un livre où la plume virevolte, où les mots essaient de décrire qui fut Emmanuel et qui retrace le lien fraternel. J’ai adoré même si j’ai compris combien le livre a une valeur cathartique pour l’auteur. Une introspection qui a le mérite d’emporter le lecteur avec une plume magnifique.
Frères : ce qu’en dit Alexandre Jardin
Le 11 octobre 1993, alors qu’il est à l’étranger, Alexandre jardin reçoit un appel, une déflagration dans sa tête. Son frère aîné de trois ans, Emmanuel, s’est suicidé. « J’ai effacé ce souvenir et je me suis tu pendant 30 ans. Emmanuel, il n’avait pas le couvercle. C’était un être magique, drôle, je ne savais s’il était fou, malade… Avec lui, on a vécu quelque chose au-delà de ce qu’est la vie quand elle est contenue. Une relation entre haine et amour de deux frères. Je n’ai pas fait ce qu’il fallait et depuis j’ai vécu avec ma culpabilité depuis 30 ans. Je n’ai pas été responsable. C’est un livre de l’ordre du sacré pour moi : je lui rends la vie » révélait Alexandre Jardin, dont la voix était empreinte d’émotion.
Il a qualifié Frères de » livre dangereux, drôle et terrifiant « . Selon l’auteur, » Emmanuel était mon anti-moi absolu. Emmanuel était toxique, il vivait la vie au grand galop « . Ce livre, on l’a compris est salvateur pour Alexandre Jardin. Il achève son récit en rendant un sublime hommage à son autre frère « extraordinaire », Frédéric.
4e de couverture Frères
« Ce livre est mon secret, l’obscur le plus obscur de ma vie. »
Le 11 octobre 1993, Emmanuel Jardin met fin à ses jours. Trente ans plus tard, Alexandre, son frère, se confronte à son fantôme et à sa culpabilité de survivant.
Emmanuel, « le plus inclassable et dérangeant des Jardin », étourdissant de charme comme capable du pire, a laissé derrière lui un sentiment d’amertume et de honte. Un secret dont son frère cadet est le seul détenteur.
Dans ce récit à vif, Alexandre Jardin évoque pour la première fois ce deuil qui ravive le passé et déchire le présent. Avec pudeur, il revisite la légende d’une famille où, entre parents et enfants, les rôles sont inversés, interroge la dualité d’un garçon qui finira par céder à la mort, et élève à ce frère une sépulture de papier.
Alexandre Jardin (Prix du Premier Roman, Prix Femina) est l’un des auteurs de langue française les plus lus. Ses romans ont touché des générations de lecteurs (Le Zèbre, Fanfan, L’Ile des gauchers, Le Petit Sauvage, etc), tout comme ses récits autobiographiques (Le Roman des Jardin, Le Zubial, Des gens très bien).
La fiche du livre
- 6 septembre 2023
- Éditions Albin Michel
- 176 pages